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No 22 (2004) - Portrait
 

Le plein des sens

Une solide formation classique, une curiosité sans bornes et une aversion manifeste pour les cadres trop rigides, la guitariste Fabienne Magnant chatouille le milieu de la guitare classique avec un disque où flamenca, classique et viola caïpira se mettent en ménage. Portrait d'une musicienne qui n'a pour seul but que d'être elle-même.

Printemps 2004 : dans quelques jours, Fabienne Magnant part en Andalousie explorer le monde très fermé et très masculin de la guitare flamenca. Goût de la transgression, provocation ou naïveté? Rien de tout cela, "C'est la musique qui me pousse. Certes le flamenco est un milieu exclusivement masculin, mais je prends le risque. Si j'aime cette musique je ne pourrai être qu'acceptée" Fabienne Magnant n'en est pas à son premier défi. A 18 ans, son prix de conservatoire en poche et quelques interrogations sur son avenir en tête, elle part seule pour le Brésil. Elle plonge dans ce foisonnement, puisant aux musiques du Brésil des richesses sonores et sensitives. Elle rencontre des musiciens venus de tous les horizons, joue avec Baden Powell, se delecte de ces brassages culturels. Premier voyage, premières découvertes de ces musiques qu'elle ne quitera plus. En 1999, retour au Brésil avec cette fois ci une idée fixe, rapporter une viola caïpira. Mais encore? Instrument populaire traditionnel que l'on retrouve notamment dans le centre du Brésil et dans le sertão nordestin, la viola caïpira est une espèce en voie d'exctinction. Peu jouée et peu valorisée .En un mot cela n'interesse personne. Sauf elle. Et ni les yeux écarquillés de ses interlocuteurs, ni l'étonnement non feint des luthiers et musiciens ne l'arrêtent. Elle finit par trouver sa viola à Rio, dans l'arrière boutique d'un magasin de musique.


Guitares Sensibles

Retour en France, sa viola sous le bras, elle tâtonne, continue ses recherches commence à composer sur cet instrument. Là encore sa démarche de compositeur est sans entraves: " Je craignais, en prenant des cours de composition, de tomber dans un apprentissage par trop rigoureux et dirigé vers un certain répertoire." Pour autant, sa musique ,n'est pas exempte de rigueur. Mais cette rigueur puise aux sources même des univers qu'elle visite : la création l'anime, mais c'est la tradition qui la guide. Pour les compositions à la viola, elle utilise des rythmes typiques du Nordeste, tout en utilisant la gamme israélite qui rappelle la présence de cette culture au Brésil. Elle ne touche pas ou peu à l'accord de la viola pour lui conserver une couleur d'origine.
La même quête de liberté la pousse à prendre une autre voie que celle de guitariste classique. Pourtant elle ne renie pas : " C'est mon premier amour" dit elle " J'ai étudié la guitare classique pendant quinze ans et je reste persuadée qu'on l'emploi bien en deça de ses possibilités réelles. Je choisis l'instrument en fonction de son timbre, de ses possibilités expressives plus que du répetoire qui lui est dédié à priori."
Son dernier disque "Le sens des sens" , dit tout cela : on y retrouve ses compositions jouées à la viola caïpira, à la guitare classique et à la flamenca : " Je crois que mon disque respire de petites notes; il n'y a pas besoins d'une surenchère de notes pour dire les choses importantes. Tout se fait par le sensible. Si le disque s'appelle Le sens des sens, c'est aussi parce que ma manière de vivre est comme ça, régie par le sensible et les émotions, sans une réflexion préalable, je ne calcule pas."


De l'art de bien recevoir la musique

Les récitals de Fabienne Magnant sont à son image : ils ne ressemblent à rien de ce que l'on a l'habitude de voir et d'entendre. Loin de l'ennui du concert au programme obligé et ressassé, loin des grandes salles, elle choisit la voie de l'intime. Ses récitals sont le lieu où les sens sont en éveil . Lumières étudiées, tissus drapés et parfums, le public est d'emblée plongé dans une ambiance propice à l'écoute. N'y voyez pas quelconque tentation new age, juste l'envie d'être dans un partage de sensations. Rien de spectaculaire, mais une démarche qui pourrait s'apparenter à un "Manifeste du bien recevoir la musique".


Francine Lajournade